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Le Moulin de Champ-Martin à Graçay (Cher)

Nous sommes dans le Cher, département tout proche du nôtre, et l’histoire de ce moulin au si joli nom, Champ-Martin, en hommage sans doute à Saint-Martin, patron des meuniers, ressemble plus au conte de la Belle au Bois-Dormant…

Le dernier meunier a quitté son petit moulin, caché au creux d’un vallon entre les communes de Graçay, Saint-Outrille au si étrange clocher tors et Orville, dans les années cinquante. Il s’est endormi et il lui faudra attendre plus de quarante ans pour qu’un rêveur lui redonne vie.

Son actuel propriétaire, Alain Lechat, a vécu son enfance à côté du moulin de Chémery (Loir-et-Cher). Il s’était promis tout enfant, alors qu’il lui était interdit de s’approcher trop près de l’eau et du moulin voisin : «Quand je serai grand, j’aurai un moulin à moi !»

Pari tenu, en mai 1997, il acquiert le Moulin de Champ-Martin, sur les bord du Fouzon. Ce ne sont plus que ruines, la toiture s’est effondrée quand la cheminée s’est écroulée dessus, elle l’a transpercée! Peu importe à notre acheteur, il est aux anges…

Comme dans le conte pour enfants sages, les ronces se sont empressé de pousser et elles ont protégé tout le mécanisme de visiteurs trop curieux… Le moulin est resté tel que l’avait laissé son dernier meunier. Tout est encore en place, la trémie, les courroies, les meules, le mécanisme… Il n’y a que la roue qui est totalement délabrée… le temps et l’eau ont fait leur oeuvre.

Rien ne rebute notre nouveau meunier, tout est à refaire, qu’à cela ne tienne! Il devient d’abord débroussailleur pour pouvoir entrer dans le jardin et pousser la porte du moulin, puis maçon pour remonter les murs, puis charpentier pour refaire les toits, puis couvreur pour replacer les vieilles tuiles, puis ébéniste pour refaire les huisseries. Ça y est, l’habitation est utilisable… hors d’eau !

Le bief

Maintenant, il y a le moulin à remettre en état, n’est ce pas précisément pour cela qu’il a acheté un moulin ? Le canal d’amenée de l’eau doit être dégagé, vidé de la boue qui s’y est accumulée, le voilà conducteur d’engin, il a même acheté une pelleteuse d’occasion dont il a bricolé un bras plus long pour atteindre l’autre rive du bief, et débarrassé des grands arbres qui y ont poussé, le voilà devenu élagueur, les 700 mètres de bief ont besoin d’une nouvelle digue, le voilà tailleur de pierre, les vannages sont à refaire, le voilà mécanicien. Et ce qu’il attend depuis longtemps arrive enfin, il est temps de réparer la roue, le voilà forgeron puis menuisier… Au bout de dix ans, en 2007, son rêve d’enfant est réalisé: la roue est toute neuve et elle tourne !!!

Mais l’histoire ne s’arrête pas là, maintenant qu’il y a la force motrice, il faut qu’elle serve. Encore un petit effort, il devient électricien pour avoir du courant… Maintenant, c’est fait : au Moulin de Champ-Martin, il y a l’électricité, faite maison!

Le petit garçon songeur de Chémery a réalisé son rêve : il a un moulin avec une roue qui tourne et qui fait son électricité… Il ne reste plus qu’à remettre le mécanisme, les courroies, la trémie, les meules en route, après quelques réparations bien sûr, et il fera sa farine… et puis le four, il est toujours là dans l’une des pièces du moulin, avec un peu de maçonnerie évidemment, dans peu de temps… il fera son pain!

Mécanisme fait tout de bois

De ce moulin ressuscité, nous connaissons assez peu de choses. Si on regarde attentivement les bâtiments, ou plutôt ce qui restait encore debout à la fin du XXe siècle, ils dateraient d’avant la Révolution de 1789.

Effectivement, nous avons appris il y a quelques jours seulement, qu’il avait brûlé entièrement, un jour de Quasimodo, le 1er avril 1714. Ses meuniers d’alors, François Lebeau et Perpétue Charfoulault, renoncent au bail le 24 juillet 1714. Ils y sont pourtant depuis le 22 novembre 1694, mais n’ayant ni la force ni l’argent pour le reconstruire, ils doivent le quitter.

Un nouveau meunier, Marin Lorillon, signe un bail, le 12 juin 1717, aux Chanoines de Notre-Dame de Graçay qui lui accordent, à la condition qu’il reconstruise le moulin «ainsy qu’il estait avant la dite incendie» sous peine d’annulation du bail, un délai de cinq ans. En compensation, il paiera la rente «de 6 septiers, 60 boisseaux, moitié froment et seigle, mesure de Graçay, 10 sols et deux chapons» seulement à compter de la Saint-Michel 1719. Il y est fait mention d’un bail du «7 May 1457», date la plus ancienne que nous connaissions pour le Moulin de Champ-Martin.

La lanterne et le rouet…

Son remarquable mécanisme, fait tout de bois, le date certainement comme le plus ancien des mécanismes des moulins de notre association. La lanterne et le rouet étant le plus souvent en fonte et en bois de cormier, ici c’est bois sur bois.

Le moulin est petit, un seul étage, avec un palier intermédiaire comme aux XVIe et XVIIe siècles. L’arbre vertical, placé sur le mécanisme, mène directement à l’unique paire de meules en pierre, sur laquelle est placée la trémie, d’où le grain tombant directement dans l’oeillard se glisse entre les deux meules, la dormante et la courante, où il est écrasé grossièrement. La force centrifuge le pousse vivement vers les bords de la meule fixe, où il sera retenu par l’archure ronde… là une goulotte en bois, de plus en plus profonde, va le mener vers un tuyau, de bois également, dans lequel il va tomber jusque dans le sac de chanvre, accroché avec une ceinture de cuir serrée par deux pinces en acier, au bout de ce tuyau… Le sac rempli, il ne manque plus que l’âne et le pochetonnier pour emporter cette farine rustique à la boulange…

La roue tourne !

C’est ainsi, grâce à un petit garçon, né un peu après la guerre de 39-45, devenu grand mais resté fidèle à son rêve d’enfant, que le Moulin de Champ-Martin à Graçay, a retrouvé une nouvelle fois, son âme.

Cette histoire n’est pas terminée. Comme dans les meilleurs contes, une bonne fée s’est penchée sur le moulin, une jeune fille, descendante de Marin Lorillon le meunier qui a reconstruit le moulin brûlé en 1714, a fait des recherches aux archives, c’est elle qui nous a raconté l’incendie, entre autres, et retrouvé traces des fariniers qui se sont succédés à Champ-Martin, mais cela c’est une autre histoire…

La renaissance du Moulin de Champ-Martin à Graçay, est racontée en détails et en photos dans le numéro 8 de notre revue. La roue toute neuve en fait la couverture. Vous pourrez découvrir les étapes de cette reconstruction, en allant sur notre site, dans la rubrique «Bulletins». Ce moulin est présenté dans celui de 2008 : la patience touchante et la ténacité d’Alain Lechat pour récupérer tuiles et pierres, son ingéniosité pour adapter les pignons d’une presse à foin Case, sa volonté de réapprendre, avec son docteur, l’arithmétique oubliée depuis l’école pour calculer la vitesse de rotation des poulies en fonction du nombre de dents des engrenages.

Mars 2012

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